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Pourquoi j’ai attendu 10 ans avant d’oser prendre les commandes d’un avion

J’avais 15 ans quand j’ai mis les pieds pour la première fois dans un aéro-club. L’odeur caractéristique de kérosène et de cuir vieilli m’a immédiatement conquis. Pourtant, il m’aura fallu une décennie entière avant d’oser enfin prendre les commandes d’un avion. Une attente interminable, parsemée de doutes et d’hésitations que je souhaite partager avec vous aujourd’hui.

La peur de voler que personne n’avoue

Certains l’appellent « l’anxiété aéronautique », d’autres préfèrent parler d’appréhension. J’ai longtemps gardé ce secret: moi, passionné d’aviation depuis l’enfance, j’avais peur de piloter. Non pas une peur irrationnelle, mais cette crainte viscérale de ne pas être à la hauteur, de faire une erreur fatale.

Je me souviens encore de ma première tentative. C’était en 2013, sur la piste d’un petit aérodrome près de Toulouse. Mon instructeur m’avait fait asseoir côté gauche, à la place du commandant de bord. Mes mains tremblaient tellement que je n’arrivais pas à boucler correctement ma ceinture. La honte m’a envahi quand j’ai dû admettre que je ne me sentais pas capable de continuer la leçon ce jour-là.

Les statistiques montrent pourtant que l’aviation légère est bien plus sûre qu’on ne l’imagine:

Type d’accident Probabilité en aviation légère Comparaison avec la conduite automobile
Accident mortel 1 sur 100,000 heures de vol 5 fois moins probable au kilomètre parcouru
Incident technique 1 sur 5,000 heures de vol Comparable aux pannes automobiles

Mais les chiffres ne parlent pas aux émotions. Et j’avais beau connaître ces données, mon cerveau continuait de me trahir.

Le perfectionnisme qui paralyse

Mon blocage venait d’un perfectionnisme maladif. Je voulais tout maîtriser avant même de commencer. Cette quête d’excellence absolue m’a paradoxalement empêché d’apprendre réellement. Je passais des heures à étudier:

  • Les manuels de pilotage et procédures d’urgence
  • La météorologie aéronautique et ses pièges
  • Les réglementations et l’espace aérien
  • La mécanique des Cessna et Robin

Mais aucun livre ne pouvait remplacer l’expérience du stick dans la main. Je l’ai compris bien trop tard.

Un jour, lors d’un meeting aérien, j’ai rencontré Pierre, 82 ans, qui pilotait encore son vieux Jodel. Il m’a confié: « J’ai fait des erreurs pendant 60 ans de pilotage, mon petit. C’est comme ça qu’on apprend. » Cette phrase, dans sa simplicité, a commencé à ébranler mon blocage mental.

Le déclic après une décennie d’hésitation

Ce qui a finalement tout changé, c’était un vol en passager avec mon neveu de 12 ans. Lui qui n’avait jamais montré d’intérêt pour l’aviation s’est soudainement tourné vers moi: « Tonton, tu m’apprendras à piloter quand je serai grand? »

J’ai ressenti une profonde honte. Comment pouvais-je prétendre transmettre quelque chose que je n’osais pas faire moi-même? Cette promesse faite à un enfant est devenue plus forte que toutes mes peurs. Le lendemain, je réservais une nouvelle leçon d’initiation.

Mon instructeur, différent du premier, a tout de suite compris mon blocage. Au lieu de me faire mémoriser des procédures, il m’a simplement fait sentir l’avion. « Ressens les commandes, ne pense pas trop. L’avion veut voler, laisse-le te guider d’abord. »

Voici les étapes qui m’ont finalement permis de dépasser cette peur:

  1. Accepter d’être imparfait et de faire des erreurs (en environnement sécurisé)
  2. Trouver un instructeur compatible avec mon style d’apprentissage
  3. Définir une motivation plus grande que ma peur (la promesse à mon neveu)
  4. Avancer par petites victoires plutôt que viser la perfection immédiate

Ce que m’a apporté cette longue attente

Paradoxalement, ces dix années de procrastination n’ont pas été totalement perdues. Ma connaissance théorique approfondie m’a permis de progresser extrêmement rapidement une fois aux commandes. Ce que les autres apprenaient en parallèle, je l’avais déjà intégré.

Aujourd’hui, je vole régulièrement sur un DR400 et prépare ma qualification vol de nuit. Je suis devenu ce pilote que je n’osais pas être, non pas en surmontant totalement ma peur, mais en apprenant à voler avec elle comme passagère silencieuse.

Si vous aussi, vous repoussez un rêve par peur de l’imperfection, rappelez-vous que l’apprentissage véritable commence précisément là où s’arrête votre zone de confort. Et que parfois, il faut dix ans pour comprendre cette simple vérité.

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